
« Vous et moi pourrions être identifiés à du sable africain, une fois extrait de notre personne tout ce qui n’en est pas. » (Charles Fort, 1919)
De la poussière est tombée sur l’Europe il y a quelques jours. L’affaire est classée, l’humanité est passée à autre chose.
Pour le scientifique c’est du sable du Sahara. D’ailleurs le scientifique le répète depuis plus d’un siècle.
Pour le paranoïaque du complot, c’est un truc dangereux qu’ »ils » nous ont balancé.
Sinon il y a ceux qui y voient un phénomène divin, le signe de la fin des temps, comme tous les ans depuis plusieurs siècles.
Ou alors des poussières venant de l’espace, de Saturne. Pourquoi pas ?
Nous affirmons vouloir accéder à la vérité mais nous regardons le monde avec des œillères.
Il y a d’abord les œillères qui rendent myope : elles nous empêchent de voir plus loin que ce qui est juste devant nous.
Il y a les œillères de l’amnésie : elles nous empêchent de prendre en considération le passé.
Il y a les œillères à effet de loupe : nous ne pouvons par prendre en considération des milliards de facteurs en même temps, alors on en choisit quelques-uns de façon arbitraire, qu’on regarde avec un fort grossissement.
Et il y a les œillères du champ des possibles : elles nous font toujours envisager uniquement ce qu’on connaît déjà.
Si ça tombe sur l’Europe méridionale, c’est forcément du sable du Sahara. Lorsqu’il atteint l’Angleterre, ça devient plus dur à admettre. Quand il tombe sur Etats-Unis, le scientifique oriente ses œillères dans une autre direction. Il désigne un autre désert ou un autre phénomène météorologique.
Le même phénomène, une poussière ou une pluie rouge, a alors droit à deux explications différentes selon le lieu et le moment.
En 1903 l’affaire était déjà classée, grâce aux chimistes.
Verdict dans « Nature » : 9.08% d’eau et de matière organique, c’est du sable du Sahara. L’averse a même touché l’Irlande.
Le 5 mars 1903 une autre analyse dans Nature : 36% de matière organique.
Un autre chimiste se prononce : 23.49% d’eau et de matière organique. Il « identifie » cette matière à du sable du désert africain, après avoir pris soin de retrancher la matière organique…
Le dépôt est jaune, orange, rouge, et même noir à certains endroits. Là le sable est magnétique, ailleurs il ne l’est pas. On y trouve des traces de Césium quelque part, on y trouve diverses autres substances ailleurs. Sûrement à cause de la pollution locale, dira le cartésien irrationnel, qui devra trouver une autre explication pour la même chose observée en 1630.
« Non, je refuse d’admettre que l’averse se composait de sable du Sahara, et sans même invoquer la principale objection – sachez que le sable du Sahara est rarement rouge, sa blancheur éclatante ayant fait sa réputation – non c’est à cause du gigantisme de sa chute. Impossible qu’un tourbillon de vent en soit la cause. Il aurait fallu, pour déplacer tout ce sable, un véritable cataclysme atmosphérique… » (Charles Fort, 1919)
Pour expliquer les pluies rouges de 1890 à Terre-Neuve, « Il serait très surprenant qu’il s’agisse de sable du Sahara » (Monthly Weather Review, 1903).
Clayton a pour sa part déterminé qu’il s’agissait « tout simplement de poussière des routes de Wessex ».
« Tout simplement »…
« Opinion pour satisfaire un scientifique, ou un théologien, ou une ménagère… Et quoi encore! Dissimulation de la réalité. Clayton ignorait que cette pluie insolite avait submergé les îles Canaries le 19 février », dit Charles Fort.
Toujours en 1903, il y en a aussi en Suisse. Et en Russie. (« Bulletin de la Commission géologique »)
Quelques mois plus tard c’est l’Australie qui est touchée : de la boue rougeâtre, une vingtaine de tonnes au kilomètre carré.
De la poussière des routes là encore ?
Ce sujet est passionnant : un phénomène inexplicable qu’on retrouve partout dans le monde depuis des siècles, dont on parle une journée par an en rappelant nos propres conception du monde.
Le scientifique ne connaît que la météorologie, et il parvient toujours à expliquer cet unique phénomène partout dans le monde en choisissant bien le désert, la route poussiéreuse ou la météorite qui confirme sa conclusion de départ par un incroyable concours de circonstances qui ne marche qu’une seule fois.
Le paranoïaque sait que c’est voulu car c’est dangereux, et il doit admettre qu’on lui en voulait déjà au Moyen-Age. Les pluies rouges terrifiaient les gens en cette période, elles étaient annonciatrices de mauvais présages.
Celui qui voit du divin ou des extraterrestres a forcément raison lui aussi : tout ce qui existe, donc tout ce qui tombe du ciel, peut-être ultimement expliqué par un acte divin ou venant de l’espace. Tout a été créé par Dieu, et nous sommes des poussières d’étoiles. Même la Terre est extraterrestre et divine…
En Juillet 2001, en Inde : « les habitants ont affirmé avoir entendu une explosion bruyante ; peu après, il commença à pleuvoir un liquide rouge-sang ».
L’État du Kerala a confirmé des pluies rouges en 2001, 2006, 2007, 2008.
« Les scientifiques pensèrent dans un premier temps que la pluie était rouge à cause des vents qui emportaient la poussière des déserts alentours vers le Kerala. »
Ah les déserts ont bon dos. Tout le sable qu’ils envoient partout !
Le Dr Godfrey Louis, Professeur de physique pure et appliquée à l’Université Mahatma Gandhi, voulut aller plus loin, cette hypothèse lui paraissait peu satisfaisante, il a donc recueilli des échantillons.
Après des mois de recherches minutieuses, il parvint à cette conclusion :
« Les éléments chimiques composant les pluies rouges du Kerala sont d’origine extraterrestre ».
Le problème des œillères de l’analyse des éléments chimiques et des molécules. Quand c’est jaune, on y cherche du pollen. Et on trouve toujours du pollen, évidemment.
« Par exemple, des analyses chimiques pourraient révéler que toutes les personnes décédées ont été empoisonnées à l’arsenic, car un estomac contient toujours des traces de fer, d’étain, d’or et d’arsenic. »
On est tous entre l’ignorance totale et la vérité. Mais la vérité ne s’atteint que lorsqu’on parvient à avoir une vision sans œillères : en regardant partout à la fois, tout ce qui se passe ici et ailleurs depuis le début des temps, en intégrant l’infinité de facteurs à toutes les échelles menant à la réalité et avec la capacité d’envisager l’ensemble des possibles. Autant dire que ce n’est pas pour maintenant.
La réalité est qu’on n’est pas plus avancés qu’il y a un siècle, quand on a décidé que notre sable venait du Sahara. Et nos explications ne sont pas meilleures qu’au Moyen-Age, elles consistent en des croyances rassurantes pour l’esprit.
« Si un déluge de sang tombait sur New-York, la bourse ne broncherait même pas. »