Il nous est naturel de dire « je » et de parler de « moi ». Mais n’est-ce pas une illusion ?

Le regard, l’objet et la perception
L’esprit est le « souffle ». C’est un regard orienté vers quelque chose. La chose regardée n’existe pas sans être observée par l’esprit : c’est l’absolu indéterminé (voir par ex. Lao Tseu) qui devient quelque chose, qui acquière une existence non-indéterminée du fait d’être observé. Disons pour simplifier que le point observé se met à vibrer, devenant quelque chose de réel avec un état changeant.
(La réalité désigne un objet figé en français, alors qu’en allemand c’est un processus. On devrait toujours parler de « phénomène réalisé » ou « réification » au lieu de dire « réalité » ou « réel ».)
En retour, la chose renvoie à l’esprit une observation, qui devient sa perception. Ceci modifie à son tour l’état de l’esprit, ou plutôt qui crée une relation entre le regard et l’observé. Cette modification et relation s’appellerait « la conscience ».Sans l’esprit, l’absolu est indéterminé, il n’existe pas. Sans point réifié, l’esprit est juste un regard aveugle, il n’existe pas.
Sans le processus de changement du point observé et de l’esprit, la conscience n’existe pas.
Esprit, phénomène réifié et conscience sont une trinité fondamentale indissociable. (La « volonté » est par ailleurs la capacité de l’esprit à choisir la direction de son regard.)
« Je » suis l’objet que j’observe
« Mais que sommes-nous réellement ? »
« Tu es une conscience de quelque chose. Ce qui t’induit en erreur c’est que tu as tendance à te confondre avec l’objet que tu observes (en l’occurrence ici celui qui est désigné par ton prénom). Mais ta vraie nature est totalement différente. Ça ne sert à rien de te l’expliquer : il faut expérimenter ! » (Gurdjieff, par Ouspensky)
Le reflet de la conscience
« L’illusion fondamentale a trait à la nature de la conscience. Ce que nous appelons habituellement conscience n’est qu’une réflexion de la conscience. La vraie conscience est l’inverse de ce que les hommes appellent conscience. Derrière notre conscience ordinaire se cache une autre conscience, mais il serait plus juste de dire que ce que nous appelons conscience, notre conscience ordinaire, est, en quelque sorte, une inversion de la conscience, un peu comme le négatif d’une photographie sur lequel ce qui est lumineux a l’air obscur, et ce qui est obscur a l’air lumineux. » (Gurdjieff, par John G. Benett)
Ce que nous appelons subconscient est pour lui la véritable conscience. La conscience habituelle est l’inconscient.
J’en profite pour parler de la couleur d’un objet d’un point de vue physique. Si on le voit rouge ça veut dire que lorsqu’on l’éclaire avec de la lumière blanche (qui contient toutes les couleurs visibles) il les absorbe toutes sauf le rouge qu’il renvoie vers l’extérieur. L’objet lui-même est donc « anti-rouge » (cyan), c’est-à-dire qu’il a une affinité avec tout ce qui n’est pas rouge.Plumo étant noir, il absorbe toutes les couleurs de la lumière blanche et n’en rejette aucune. De son point de vue intérieur il est blanc car toute la lumière va en lui. A l’inverse un objet qu’on voit blanc d’un point de vue extérieur rejette toutes les couleurs, il est donc noir de son point de vue.

L’illusion d’être l’objet
Selon Gurdjieff, l’esprit est maintenu dans l’illusion d’être l’objet qu’il observe par une force : le Kundalini. C’est ce qui le met dans un état d’hypnose, de sommeil. Si l’objet observé par l’esprit était un arbre, il serait persuadé d’être l’arbre et oublierait qu’il est le regard qui a adopté le point de vue de l’arbre. « Nous n’avons pas de « Je » réel. Notre ego n’est que la somme de voix contradictoires qui se manifestent au gré des circonstances. » (G)
Notez que Gurdjieff s’oppose à la vision répandue des occultistes et de diverses spiritualités qui parlent de Kundalini comme d’une force à libérer et dompter. En faisant ça, on se place encore plus dans l’imaginaire et on renforce l’illusion : on devient une sorte d’humain supérieur au lieu de découvrir qu’on regarde cet humain.
« Et surtout Kundalini n’est à aucun titre quelque chose d’utile ou de désirable pour le développement de l’homme.
Il est très curieux de constater comment les occultistes se sont emparés d’un mot dont ils ont complètement altéré la signification, réussissant à faire de cette force très dangereuse un objet d’espoir et une promesse de bénédiction. » (G)
Sortir de l’illusion : le « rappel à soi »
L’éveil consiste à être capable de sortir de l’illusion, à devenir conscient de ne pas être l’humain observé qu’on prend pour l’observateur. Il s’agit de faire un « rappel à soi ». Quand on fait un « rappel à soi », on est extérieur, on n’a plus de personnalité : on est le regard vers soi. Un regard objectif, sans émotion à part une sensation d’étrangeté. »
Nous avons d’ailleurs tous l’expérience de tels moments depuis notre tendre enfance. Ils arrivent dans des circonstances nouvelles et inattendues, dans des endroits inaccoutumés, parmi des personnes étrangères au cours d’un voyage, par exemple, où on regarde autour de soi et on se dit : « Comme c’est étrange, moi, à cet endroit », ou en des moments d’émotion, de danger, où il est nécessaire de ne pas perdre la tête, où l’on entend sa propre voix, où l’on se vit et s’observe du dehors. » (G)
Le rappel à soi est fondamental dans le travail d’éveil. Il nécessite un effort et une attention active.
